Saint-Jean-Cap-Ferrat, 28 avril 1904.
Saint-Jean-Cap-Ferrat, 28 avril 1904.

Description
La visite du prince a lieu au retour d'une petite campagne scientifique effectuée du 19 au 24 avril 1904 en Corse, au large de l'Île-Rousse, et avant le départ pour un tour de France en motocyclette, de La Turbie à Paris, le 4 mai.
Cette scène témoigne à la fois de la préoccupation du Souverain pour l'urbanisme et de la politique sociale du prince, qui s'exprime déjà dans son engagement pour la Mutualité. Le Journal de Monaco, dans un article du mardi 3 mai, rend compte de cette visite :
"Jeudi dernier, 28 avril, S. A.S. le Prince Albert et S. A. S. le Prince Louis, accompagnés de M. l'enseigne de vaisseau Sauerwein, aide de camp, se sont rendus à la carrière Saint-Jean, d'où proviennent, comme on sait tous les matériaux nécessaires à l'exécution de la jetée du port de Monaco. Cette visite était impatiemment attendue par tout le personnel de l'Administration et de l'entreprise; elle a été favorisée par un très beau temps, qui a permis de montrer au Prince tous les chantiers en pleine activité. MM. Fontana, Gamba et Bulgheroni frères, entrepreneurs, avaient décoré et pavoisé avec beaucoup de goût l'entrée de la carrière. Le Prince a successivement parcouru les chantiers de minage, de chargement, de bardage et d'embarquement des enrochements naturels, ainsi que le chantier de construction de blocs artificiels, et a pris un vif intérêt aux explications qui Lui ont été fournies par les ingénieurs et les entrepreneurs sur tous les détails des opérations. A la fin de Sa visite, Son Altesse Sérénissime a daigné accepter une coupe de champagne offerte par les entrepreneurs. Autour de la table, dressée en plein air, étaient venus se grouper les 300 ouvriers de l'entreprise. M. l'ingénieur en chef Batard-Razelière, au nom de tout le personnel, puis M. Franz Bulgheroni, au nom des entrepreneurs, ont exprimé au Prince leur profonde gratitude pour le bienveillant intérêt qu'Il voulait bien leur témoigner et l'ont assuré de leur dévouement le plus absolu pour conduire à bonne fin les travaux de la jetée; ils ont ensuite levé leurs verres en l'honneur de S. A. S. le Prince Albert et de S. A. S. le Prince Louis, en faisant des voeux pour la prospérité du règne du Prince Albert, déjà illustré par tant d'oeuvres utiles et grandioses, et auquel les travaux du port viendront ajouter un nouveau fleuron. Dans un langage élevé, S. A. S. le Prince Albert a remercié les ingénieurs et entrepreneurs, ainsi que tous leurs employés, contre-maîtres et ouvriers, de leur concours dévoué. Son Altesse Sérénissime a manifesté tout particulièrement Sa satisfaction à l'égard des ouvriers, ces modestes mais indispensables auxiliaires, dont la conduite exemplaire est le plus sûr garant du succès final; aussi a t-Elle bien voulu, pour leur laisser un souvenir de son passage, les convier à un grand banquet. L'annonce de cette généreuse et délicate attention a été accueillie par les vivats de tous les ouvriers. Le banquet, auquel assisteront également, sur l'invitation du Prince, les ingénieurs, entrepreneurs et employés, présentera ainsi une véritable fête de famille. Il a été fixé au 12 mai prochain et il aura lieu, suivant l'expression imagée de M. Bulgheroni, sur le champ de bataille des ouvriers, c'est-à-dire à la carrière même. Son Altesse Sérénissime a bien voulu faire savoir d'ailleurs qu'Elle s'y ferait représenter, donnant ainsi une nouvelle marque de Sa sollicitude à 't'égard de Ses fidèles collaborateurs."
Le 12 mai de la même année, le prince offrira un banquet aux ouvriers. Alors en voyage en motocyclette, traversant la France, il n'assistera pas à ce banquet où il est représenté par son aide de camp Sauerwein.
Le Journal de Monaco rend également compte du banquet :
"Par une délicieuse journée de printemps et avec une réussite incomparable a eu lieu, jeudi dernier, le grandiose banquet populaire généreusement offert par S. A. S. le Prince Albert à tout le personnel des travaux de la jetée du port de Monaco. Cette fête du travail a eu pour cadre pittoresque une vaste salle champêtre aménagée sur un terrain entouré d'oliviers centenaires et faisant partie de la carrière acquise à Saint-Jeansur-Mer par l'Entreprise Fontana, Gamba et Bulgheroni frères, pour l'extraction des pierres et la construction des blocs artificiels de la jetée. Abritée par des bâches suspendues aux oliviers, une double table de 70 mètres de long, reliée par la table d'honneur en forme de fer à cheval, avait été coquettement dressée et a permis de servir à l'aise les 371 invités de Son Altesse Sérénissime. Le menu, qui fut véritablement excellent et dont un exemplaire illustré par M. Franz Bulgheroni était placé devant chaque couvert, a fait grand honneur à l'habile restaurateur de Saint-Jean, M. Tagliasco, qui s'était chargé de la confection et du service de ce colossal repas. A la table d'honneur, derrière laquelle, sur un panneau orné de drapeaux monégasques se détachait le portrait du Prince Albert, M. l'enseigne de vaisseau Sauerwein, aide de camp, spécialement délégué par Son Altesse Sérénissime, a présidé le banquet, ayant à ses côtés M. Giordan, adjoint délégué par M. le Maire de la commune de Saint-Jean ; M. Batard-Razelière, ingénieur en chef ; M. Chauvet, ingénieur ; MM. Fontana, Gamba et, Bulgheroni frères, entrepreneurs ; M. Alfred Mortier, directeur du Journal de Monaco, et M. Jules Michel, rédacteur en chef du Petit Monégasque ; MM. Burle et Mazin, conducteurs des travaux ; M. Cauvin, directeur du chantier de la carrière ; M. Conti, maître du port à Monaco ; M. Strabile, syndic de la marine, et M. Chauve, receveur des douanes à Saint-Jean ; MM. Baseggio, Fontana et Gamba fils ; enfin les comptables et surveillants, puis, à chacune des deux longues tables, tous les marins, ouvriers et manoeuvres avec leurs contremaîtres respectifs assis au milieu d'eux. , Au champagne, M. l'enseigne de vaisseau Sauerwein a prononcé l'éloquent discours suivant qui a été souligné par de chaleureux applaudissements : Messieurs, En déléguant aujourd'hui un de Ses aides de camp pour Le représenter au banquet qu'Il vous offre, S. A. S. le Prince de Monaco a tenu à vous confirmer les sentiments de haute estime en lesquels Il tient tous ceux, ingénieurs, entrepreneurs, conducteurs et ouvriers, qui ont collaboré à l'oeuvre colossale entreprise dans le port de la Principauté. A l'heure où ces travaux sortent enfin du mystère des eaux où, pendant deux ans, sans lassitude et avec une Il est rendu compte de tous les ouvrages français et étrangers dont il est envoyé deux exemplaires au journal. Les manuscrits non insérés seront rendus. aveugle confiance en ceux qui vous dirigent, vous avez enfoui pierre après pierre toute une colline, j'ai la mission, très flatteuse pour moi, de vous apporter içi les félicitations du Prince que j'ai l'honneur de servir et de dire à tous la satisfaction très vive du Souverain qui contemple les prémisses d'une oeuvre dès longtemps conçue, dont la réalisation comble les plus chères espérances. A vous, M. l'ingénieur en chef, dont le projet semblait tout d'abord un défi jeté à la nature trop souvent rebelle aux conceptions humaines, domptée pourtant par la force de l'intelligence qui lentement, mais sûrement, domine, marchant au but contre toutes les difficultés amoncelées sur sa route ; A vous, MM. les ingénieurs, auxiliaires dévoués, traduisant en réalisations fidèles la pensée d'un chef éminent; A vous, MM. les entrepreneurs, qui avez eu en l'oeuvre entreprise la confiance que donne une longue pratique des affaires, jointe au souci :très noble d'attacher votre nom à une de ces oeuvres dont la portée dépasse la génération présente, affirmant ainsi l'éternelle solidarité de l'humanité dans le temps comme dans l'espace ; A vous tous, enfin, les collaborateurs plus modestes, contremaîtres et ouvriers, dont les visages bronzés disent la vie de labeur sans relâche et sans faiblesse ! A tous, messieurs, j'apporte de la part de Son Altesse Sérénissime les remerciement; et les, félicitations d'un Prince qui a voulu, Lui aussi, être comme vous : un travailleur. Mais ce n'est pas tout, messieurs, je viens de vous dire la satisfaction du Prince pour votre ardeur au travail. J'ai le devoir encore de vous apporter les félicitations de Son Altesse pour l'union si parfaite que vous avez su faire régner entre tous ceux qui ont concouru à votre oeuvre. En ce temps où la conscience des peuples est souvent angoissée par les graves problèmes que soulèvent les rapports des travailleurs et de ceux qui les dirigent, vous avez obtenu ce résultat admirable d'une entente que rien n'est venu troubler durant plus de deux années ; et cela, non par la pression d'une discipline qui courbe les plus faibles sous la loi du plus fort, sans contrôle, mais par cette union des volontés tendues vers un mémé but, qui fait que l'inférieur collabore avec son supérieur à l'oeuvre commune, suivant un mode réglé par une observation réciproque des lois qui régissent les sociétés. C'est le plus grand hommage qui puisse vous être rendu à tous. Messieurs, au nom de S. A. S. le Prince de Monaco, je lève mon verre à cette oeuvre que vous avez entreprise, à son achèvement, à votre prospérité et à celle de vos familles. Une ovation enthousiaste a accueilli ces derniers mots. M. Batard-Razelière a pris ensuite la parole et, en une fort belle improvisation, a fait à son tour l'éloge de l'oeuvre entreprise et des travailleurs qui en poursuivent la réalisation avec autant ,d'ordre que de bonne volonté. Le très distingué ingénieur en chef a remercié M. Sauerwein des paroles flatteuses qu'il a adressées aux ingénieurs du port et l'a prié de transmettre à Son Altesse Sérénissime l'hommage de la gratitude et du respectueux dévouement de tous ses collaborateurs. Enfin, reportant le mérite des travaux accomplis sur les ouvriers,mineurs et marins de l'entreprise, M. Batard-Razelière,aux acclamations de tous les convives, a levé son verre à leur santé. M. Franz Bulgheroni, parlant au nom des entrepreneurs, a en fort bons termes exprimé Pour les autres insertions, on traite de gré à gré. S'adresser au Gérant, Place de la Visitation. leurs sentiments de dévouement et de reconnaissance pour le Prince dont il a rappelé la récente visite à la carrière de Saint-Jean. Rendant ensuite hommage à la direction du savant ingénieur en chef, l'orateur dit l'espoir que ses associés et collaborateurs ont de mener à bien tous les travaux présents et futurs du port de Monaco. « En remerciant le Prince Albert, ajoute-t-il, de la belle fête qu'Il nous offre aujourd'hui si généreusement, je vous invite tous à lever votre verre pour boire à la santé de Son Altesse Sérénissime qui est un vrai père pour les ouvriers et qui a tenu à se faire représenter à ce banquet par Son distingué aide de camp, M. Sauerwein, que vous venez d'entendre. Je vous invite ensuite à boire à la santé de tous ces messieurs qui ont bien voulu nous honorer de leur présence et en particulier à MM. les Ingénieurs, et aussi à la presse, si sympathique aux travailleurs. Et en finissant, je tiens ici sur notre chantier, sur ce terrain de travail, à saluer de nouveau le Prince de Monaco et je suis certain que tous avec moi vous repéterez ce cri: Vive Albert Ier » De nouvelles acclamations retentissent, puis M:. ,Alfred Mortier prononce en italien une courte allocution que les ouvriers écoutent avec plaisir et qui soulèvent des cris enthousiastes de «Evviva il Principe Alberto! Evviva la stampa ! n. Enfin M. Cauvin, qui a la direction des travaux de la carrière de Saint-Jean, a terminé la série des discours en se faisant le digne interprète des contremaîtres et ouvriers de l'entreprise. Un télégramme est ensuite envoyé, sur la proposition de M. Franz Bulgheroni, à S. A. S. le Prince Albert, pour Lui exprimer la profonde et respectueuse gratitude des convives. La fête a été complétée par un concert dont la Lyre Monégasque, venue tout exprès de Monaco et arrivée vers la fin du banquet, a fait l'agréable surprise à tous les assistants. L'excellente Société musicale, présidée par M. Joseph Marquet et dirigée par M. Sainte-Marie, a d'abord exécuté l'Hymne Monégasque, puis la Marseillaise et la Marche Royale Italienne, que l'on a chaleureusement applaudis. Vers cinq heures, M. l'enseigne de vaisseau Sauerwein, accompagné des ingénieurs et des entrepreneurs, a repris, au port de Saint-Jean, 'le remorqueur qui l'a ramené à Monaco et dont le départ fut salué par les vivats des braves travailleurs qui conserveront le souvenir reconnaissant de cette belle journée de fête que le Prince leur offrit pour les récompenser de leur zèle, de leur bonne conduite et de leur laborieux dévouement.
En réponse au télégramme qui Lui a été envoyé au nom de tous les convives du banquet de Saint-Jean, S. A. S. le Prince Albert a fait adresser le télégramme suivant : Paris, i5 mai, 2 heures soir. Prince de Monaco aux Chefs de Chantiers des Carrières Saint-Jean (Alpes-Maritimes).
Je suis heureux d'avoir montré aux ouvriers des carrières que ma sympathie et ma considération pour les travailleurs est également partagée entre ceux qui s'honorent par le travail manuel et ceux qui s'élèvent par le travail de la pensée. ALBERT. "
Cette dernière phrase est emblématique de la philosophie du prince.
Journal de Monaco, 17 mai 1904.
Il est à noter que le journal autographe du prince, alors occupé à préparer son voyage à motocyclette, ne rend pas compte de cet événement.
Aujourd'hui, il est difficile d'imaginer l'importance de ce travail. Seules 4 piles en pierre s'avançant dans la mer rappellent l'activité de la carrière littorale. Voir le dossier d'inventaire de la région Sud :
https://dossiersinventaire.maregionsud.fr/dossier/IA06001735