26/11/1904 - Lettre de Flore Singer à Albert Ier
26/11/1904 - Lettre de Flore Singer à Albert Ier
Transcription
Paris 26 9bre 1904
Monseigneur,
Me voilà revenue Avenue Kléber, avec toute la mélancolie d’un retour où tant d’êtres aimés manquent à l’appel !
A peine arrivée, j’ai expédié un émissaire, avenue du Trocadéro, pour savoir si Votre Chère Altesse était à Paris.
L’idée de vous revoir m’eut consolée – mais on m’a donné votre adresse en Bavière.
La Bavière ! C’est bien loin….. Pourtant, vous êtes, là-bas, si bien dans votre sphère naturelle, au milieu d’esprits supérieurs qui vous comprennent et qui vous offrent en même temps des distractions conformes à vos goûts que je rougirais s’il me restait encore un regret égoïste !
Et puis, vous reviendrez bientôt, n’est-ce pas ? Monseigneur.
Je voudrais bien Vous amuser par quelques historiettes intéressantes… Mais je me trouve très à court !
On me dit que Pelletan va être débarqué aujourd’hui-même et que le ministère s’en ira feuille à feuille, ou plutôt porte-feuilles à porte-feuilles..
Toutes de histoires de délation sont bien attristantes mais je trouve que le Délateur des délateurs ne vaut pas beaucoup mieux qu’eux !
Avez-vous vu, dans les fiches qui se publient,
2.
comment un colonel français déclarait que s’il était juge de Dreyfus il le condamnerait sans l’entendre ? C’est sans doute ce qui arrivera si on décide pour le Conseil de guerre – mais c’est pourtant ce genre de juridiction qui me parait nécessaire...
Qu’en pense Votre Altesse ? Je voudrais tant penser comme elle !
On s’est beaucoup occupé dans le monde parisien du mariage d’Arthur Meyer et cela a été la source de plus d’une plaisanterie bonne ou mauvaise..
En voici une, entre autres ; « Le marquis et la Marquise de Turenne ont l’honneur de vous annoncer le mariage de leur fille avec Monsieur Arthur Meyer….
Ce mariage met en deuil les famille Turenne, Fitz-James etc. »
D’autre par Arthur Meyer disant à tout le monde que ce n’est pas un mariage mais une adoption, on raconte que son beau-frère, le jeune Turenne, aurait dit : » Quel bonheur ! je vais enfin m’appeler Arthur Meyer ! »
Nous avons eu beaucoup de monde, à Neufmoutiers et mes enfants un peu fatigués vont y rester tout seules pendant quelques temps. Ensuite, Louis ira s’installer jusqu’au 20 – chez Monsieur de Chabaud-la-Tour, un de ses cousins auquel il a promis d’inaugurer avec lui une belle chasse aux perdreaux.
Maintenant, permettez-moi, Monseigneur, de vous faire un aveu. Cet aveu ne regarde pas précisément, mais je m’en crois presque responsable puisqu’i s’agit de Louis.
Figurez-vous qu’au moment de mon départ pour Neufmoutiers j’ai découvert derrière une table d’office, une lettre à votre adresse et de l’écriture de Louis. C’était certainement la lettre où mon fils vous disait quel plaisir rare il avait goûté à Marchais – mais cette lettre gisait dans un office !
Imaginez-vous ma confusion, Monseigneur ? Elle fut telle, que je voulus en éviter une semblable à mon pauvre Louis ! Et sans même admonester le domestique si coupable afin que Louis ne sut jamais rien – j’ai confisqué la lettre et je vous la garde.
Vous dirai-je ce que j’espère ? C’est que malgré les apparences vous n’aurez cependant jamais pensé que mon
4 fils put être un ingrat !
Tous les deux, nous avons conçu pour Votre Chère Altesse un sentiment qui ne ressemble à aucun autre ! tout simplement parce que Vous-même, Monseigneur, ne ressemblez à personne.
Que votre Altesse veuille bien agréer l’expression de mon tendre respect.
Flore