Lettre du prince Albert à son père, le prince Charles III, 5 février 1889

Lettre du prince Albert à son père, le prince Charles III, 5 février 1889

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Transcription

Paris 5 février 1889

Mon cher Papa,

C’est donc samedi soir que je me mets en route pour Madère par Bordeaux : c’est La Colombie qui part le 10, et la compagnie m’y fait faire comme l’an passé une installation exquise.

Mon adresse est la même que la dernière fois ; les départs ont lieu de Southampton tous les vendredis et c’est la voie la plus sure, ou adresse : Madère, voie anglaise, by cape steamers. Ils ont ? de Lisbonne tous les lundis et en outre le 5 et le 20 de chaque mois.

J’emporte un bagage d’instruments d’un grand intérêt pour des travaux inédits à exécuter là-bas.

Je laisse ici tout ce qui concerne l’exposition en bonne voie d’exécution, chacun a sa besogne tracée et M. de Guerne qui connait parfaitement mes intentions, tranchera les questions imprévues qui pourraient surgir.

J’ai choisi le papier pour Marchais, je tenais à du papier glacé parce qu’il est beaucoup plus hygiénique que l’autre sur lequel s’accumulent les poussières flottantes et dont la peinture presque toujours nocive ? des émanations dangereuses. C’est une question en général trop peu considérée par le public, les tentures en étoffes sont également mauvaises, parce que elles retiennent les particules de toutes nature en suspension dans l’atmosphère et qu’elles empêchent ainsi l’air de se renouveler suivant ce qui est indispensable.

Pour ce qui est de Louis, il serait très regrettable de ne pas le pousser à la préparation du baccalauréat, d’abord parce qu’il s’est habitué à cette idée et peut être elle stimulera un peu. Or pour l’admission au baccalauréat il n’y a personne d’aussi fort que les professeurs de la Rue des Postes, et d’ailleurs ils ont une faculté spéciale pour pronostiquer que sera ou que l’on ne sera pas reçu, donc je persiste à pencher vers cette solution. Mais une fois ce système admis, ce serait compromettre la moitié de son bénéfice que de créer pour Louis une situation privilégiée qui le soustrait de la méthode reconnue comme bonne ; d’autre part elle lui ferait une situation intenable parmi ses camarades et que j’ai malheureusement expérimenté dan les collèges où j’ai été.

Quant à l‘opportunité d’envoyer Louis à la rue des Postes je n’hésite pas la reconnaitre, son caractère en a le plus grand besoin car il est empreint de mollesse, d’apathie, de paresse intellectuelle et physique telles que les quinze ou vingt maitres par les mains desquelles il a passé sont unanimes à les déplorer. Et moi j’ajoute qu’en des temps de luttes et de difficultés, il faut que la jeunesse soit trempée de toutes les façons.

Une année d’internant dans ces conditions, serait pour lui une bonne préparation à l’Ecole militaire dont la discipline sera autrement une forte surprise dans sa vie.

Si maintenant on veut encore lui supprimer de ce côté tout ce qui peut contribuer à en faire un homme, si on veut simplement lui faire accorder le droit de porter une uniforme et un panache ; si on sollicite en Suède aussi, une situation privilégiée c’est le montrer du doigt à tout le monde comme un incapable qui dissimule sa nullité derrière cette ? qu’on appelle le prestige de la naissance. Et vraiment ce n’est point là ce que je désirerais en le faisant aller en Suède, je demanderais donc si l’affaire devait prendre cette tournure, qu’il soit bien constaté que c’est en opposition avec ma manière de voire, et uniquement sur votre insistance.

Ces choses sont aujourd’hui considérées d’une toute autre façon que jadis.

La vie des Princes est beaucoup plus mêlée à celle du monde parce que l’ancien prestige superstitieux qui qui planait sur une ? s’évanouit peu à peu ; on devient pratique, on juge les gens et les choses en les analysant, et pour consacrer  son autorité doit montrer qu’il possède le fond nécessaire pour l’appuyer. Que dans un grand Etat la nullité d’un souverain puisse être, même de nos jours, cachée et atténuée sans ses inconvénients par un entourage plus ou moins constitutionnel, je ne le nie point, mais dans un tout petit pays, où cette ressource ? des conseillers fait défaut, le Prince doit pouvoir se suffire à lui-même et pour cela le frottement et l’observation des hommes lui sont nécessaires. Je vous laisserai donc le soin de voir de qu’il y aurait à faire en ce qui concerne la rue des Postes où il faudrait s’adresser sans délai pour obtenir d’être admis. Mais dans le cas où il s’agirait d’une situation privilégiée autre que le demi pensionnat (si on l’accordait) j’aimerai encore mieux le statu quoi. ?

Souvent vous opposez aux efforts que je fais pour donner à Louis cette virilité, cette activité, cette instruction dont il a tant besoin les défauts et les résistances de ma propre jeunesse : mais faut-il donc laisser ses enfants s’engager dans une mauvaise voie parce qu’on y a été soi-même ? A quoi servirait alors l’éducation ?

M. Dautheray dont la lettre a été envoyé à Monaco, est un brave homme qui donne des représentations dans le genre des de Neuvile ; son ambition serait d’être admis à Monte Carlo et vraiment il est digne de ce théâtre : je m’en suis convaincu l’autre jour à une soirée donnée chez les Lesseps pour le général Boulanger et j’ai fait la connaissance de celui-ci. Je souhaiterai dont que l’on tâche de faire obtenir à Dauthenay ce qu’il souhaite.

Je vous prie de faire pour moi mes adieux à ma tante, et je vous embrasse de tout cœur.

Albert

P.S Il y aura à payer en plusieurs fois si l’on veut à Francfort, une somme dont je ne connais pas encore le chiffre exact, mais qui atteindra peut -être Deux mille cinq ou six cents francs, pour six planches.

J’hésite en ce moment dans le choix parmi les libraires qui demandent à êtres dépositaires des exemplaires qui seront vendus, mais je crois que le meilleur serait Masson. J’hésite encore pour le chiffre de tirage : il ne saurait être inférieur à 600 mais d’autre part, si d’accord avec les prévisions, l’ouvrage se vendait bien, on regretterait plus tard de ne pas l’avoir tiré à un plus grand nombre d’exemplaire ; c’est embarrassant. Quoiqu’il en soit, je suis assuré que cette vente couvrira la plus grande partie des frais d’impression et de planches ? Un libraire de Vienne ayant demandé à publier une traduction de l’ensemble de ce que j’ai imprimé jusqu’à ce jour, j’ai accepté et fait un arrangement avec un viennois nommé Singer qui a fait en même temps la demande de traduire, c’est le correspondant de grands journaux à Paris et le traducteur des œuvres de Fauchen de tar ?; la forme trop populaire qu’il voulait donner à cette publicité ne me convenant pas beaucoup, j’ai préféré contribuer par une somme de 500frs à ce travail qui sera alors plus élégamment présenté.

A en croitre ces messieurs, je rentrerai dans cette somme car ils comptent sur le succès de leur entreprise. D’autre part, le plus important des journaux illustrés anglais : le « Illustrated London news » m’a envoyé son directeur continental pour me demander à faire une reproduction en chromolithographie superbe, éditée entièrement à ses frais, des peintures que j’ai fait faire par M. Borrel pendant la dernière campagne : j’ai étudié la question mais je suis heureux de voir combien chaque jour on s’intéresse d’avantage dans le monde et même dans tous les mondes, , à ces belles recherches que je suis plus que jamais disposé à me démener.

D’autre par le gouvernement Anglais s’accord avec la « Commission du Challenger m’offre la publication entière des travaux de cette campagne avec une dédicace ; la valeur de cet ouvrage et d’environ 3000 fr.

 

Author Albert I of Monaco
Recipient Charles III (Prince de Monaco)
Language Français
Document Nature Document écrit manuscrit
Creation date 05/02/1889
Related places Monaco
Approval committee Comité Albert Ier
Collection Archives et Bibliothèque du Palais princier de Monaco
Source reference APM - C 525
Publication date 07/10/2024

Description

Dans cette lettre, le prince avertit son père de son départ pour Madère, où il va à la fois rejoindre Alice de Richelieu et procéder à des opérations scientifiques.

Dans le cadre de ce voyage d’agrément où il rejoint Alice de Richelieu, le Prince emporte notamment avec lui un photométrographe, invention du physiologiste Paul Regnard (1850-1927), condisciple du prince au Lycée Stanislas, destiné à mesurer les intensités lumineuses à diverses profondeurs au cours de la journée.

Il évoque dans sa lettre un de ses principaux collaborateurs lors des premières campagnes scientifiques : Jules Germain Maloteau de Guerne dit Baron de Guerne, (1855-1931), zoologiste et géographe français. Collaborateur du Prince de 1886 à 1894.

Protagonists