Lettre de Bertha Von Suttner au prince
Lettre de Bertha Von Suttner au prince
Transcription
30 avril 1903 Harmannsdorf
Voici, Monseigneur, ma version de la préface.
Je me suis efforcée d’en rendre l’accent de gravité émue.
Le passage concernant les armées les canons et les flottes ne plaira guère à notre cousin qui édite une revue militaire et maritime ni peut-être à S. M. Guillaume dont « l’avenir est sur l’eau », sur « l’eau qui charrie les men-of-war bien entendu.
Mais ce ne sera pas moi qui conseillerai de faire de l’opportunisme et de biffer ce passage dans la version allemande. Au contraire, ce que j’admire en Votre Altesse, c’est cette sereine audace avec laquelle Elle proclame ses principes envers et contre qui que ce soit, d’ailleurs, la préface entière est une protestation contre la politique belliqueuse.
C’est, en trois pages, un Anti-Machiavel. Elle donne au monde, en quelques coups de plume, l’esquisse du Prince dont auront besoin les temps futurs si tant est que les temps futurs auront des Princes.
En tout cas les têtes couronnées resteront d’autant plus longtemps les arbitres de l’histoire, quelles auront su s’adapter aux lois de l’évolution, de cette évolution qui est orientée vers la justice et la Paix.
Cette préface fait mon bonheur. Si le livre entier est une œuvre de science, l’avant-propos en est une œuvre de civilisation et – un acte de courage.
Dans peu de jour j’aurai fini de corriger la traduction entière. Il ne me restera plus qu’à litre les épreuves à mesure qu’elles me seront envoyées. Le livre sera prêt pour la semaine de Kiel.
J’attends maintenant les quelques lignes de dédicace et l’article (Conférence De Londres) pour la Deutsche Revue.
J’aimerais bien avoir quelques comptes rendus de la conférence de Wisbade.
Agréez, Monseigneur, l’assurance de mon profond dévouement.
Bertha Suttner
Description
Les échanges riches et réguliers entre la pacifiste autrichienne et le prince humaniste annoncent et accompagnent l'organisation du XIe Congrès de la Paix à Monaco en 1902 et la création de l'Institut international de la Paix en 1903, à Monaco. En présence, à chaque fois, de Bertha Von Suttner.
Ici, la lettre évoque la traduction allemande de l'avant-propos de La Carrière d'un navigateur, ouvrage du prince publié chez Plon l'année précédente en 1902. Le prince a confié initialement le travail à Alfred Hermann Fried, non satisfait du résultat, il demande à son amie Bertha Von Suttner de reprendre le travail.