Lettre à Alfred Dreyfus du 10 juillet 1899
Lettre à Alfred Dreyfus du 10 juillet 1899
Transcription
Depuis longtemps, j’affirme votre innocence parce que je la vois comme je vois la clarté du jour. Vous-même en vrai soldat vous l’affirmiez mieux que par des serments lorsque vous traversiez debout le champ du supplice. Aussi les braves gens sont avec vous, et si des aveugles persistent à s’insurger contre le sentiment qui anime l’élite de la nation, ils s’exposeront, j’en ai la certitude à d’humiliants démentis. Mais les juges suprêmes que vous avez demandés sont là, et ils savent que si l’épée anoblit l’homme qui la porte, c’est seulement lorsqu’elle symbolise dans sa main la droiture et la force. Ils savent que leur nom va contresigner directement le verdict d’où sortira pour la France une nouvelle grandeur faite de ses angoisses et de sa loyauté. Dans l’attente de la parole libératrice des juges, les âmes qui ne sont ni de pierre ni de boue admirent l’inévitable destin en vous voyant ramené par la tempête qui chasse les mensonges et les crimes. Elles voient prochains la fin d’une triste scène, le dénouement qui montrera comment une armée consciente de son honneur rouvre ses rangs au frère d’armes grandi par la victoire de la justice. Loin du lieu où les plus clairvoyants de vos concitoyens accomplissent envers vous une œuvre de réparation très haute et très sainte, j’ai le droit d’applaudir en me souvenant de ces jours de désastre où je combattais avec eux pour le drapeau de la France. Et je veux que ce témoignage soit près de vous pour être arrosé des larmes de votre joie quand les juges termineront votre martyre. Je commande des marins, des savants, des hommes robustes de corps et d’âme qui se dévouent pour accroitre l’action du savoir sur les intelligences : et c’est dans la sérénité du travail ; perdu volontairement dans les déserts où les passions se taisent, d’où les querelles humaines paraissent infimes, que je parle ainsi de justice et de réparation. Et puis la force que prête aux consciences l’habitude des grands problèmes du monde, me donne une vision de la France, qui enveloppa les peuples à son génie civilisateur, et qui acclame aujourd’hui les soldats et des juges dans un élan dont les siècles garderont la mémoire.
Description
Cette lettre, adressée en mer de Tromso, alors que le prince part pour sa deuxième campagne scientifique au Spitzberg, se situe dans le contexte du procès de Rennes. Plusieurs versions des minutes de cette lettre sont conservées aux Archives du Palais de Monaco.