Lettre du prince Albert à son père, le prince Charles III, 4 mai 1866
Lettre du prince Albert à son père, le prince Charles III, 4 mai 1866
Transcription
Madrid, le 14 mai, 1866
Mon cher papa,
J’ai déjà reçu le 12 votre lettre du 8 : il est à remarquer que les lettres mettent beaucoup plus de temps pour aller à Monaco que pour en venir.
Je trouve comme vous très sage de numéroter les lettres, mais on m’a prévenu ici que la correspondance serait très facile du navire en Europe jusqu’à Rio de Janeiro où l’on touche le plus souvent ; mais plus loin à cause de la guerre elle devient plus difficile ; les navires espagnols ne pouvant communiquer avec la terre, elle n’est possible que par la voie des paquebots de Panama, qui courent le risque d’être pris par des navires ennemis. Il y a encore la voie du Cap Horn, qui, outre l’inconvénient ??, a celui de la longueur de temps. Quant aux lettres qui me seront envoyés d’Europe, il faut, pour plus de sûreté, les faire passer au ministère d’Etat, en Espagne ; du reste je vous enverrai des modèles de lettres qui m’ont été promis.
Je me trompais effectivement en vous disant que le prince des Asturies portait le cordon de Charles III ; je voulais dire St Charles.
Le Tetuan partira probablement de Cadix à une époque qui dépendra des nouvelles du Chili attendues vers le 15. L’officier, parti pour Monaco me plait beaucoup à première vue ; c’est un homme qui parait joindre à une grande simplicité des connaissances étendues ; je l’ai invité à diner à son passage à Madrid. Il avait été prévenu de la mission qui lui était destinée qu’à son arrivée ici, de sorte qu’il était au regret de se présenter à Monaco sans son uniforme de grande tenue. Nous nous ennuyons à périr ici ; dans le jour il n’y a pas la moindre distraction ; par exemple nous nous dédommageons le soir au théâtre où nous allons presque tous les jours, l’on a très souvent des opéras différents.
Les courses de taureaux n’ont pu avoir lieu jusqu’à Jeudi dernier, à cause du mauvais temps ; ce jour-là, une demi-course a été donnée ; c’est un spectacle assez curieux que je ne connaissais pas ; il n’y avait que quatre taureaux véritables ; les autres avaient des boules aux cornes et alors plus de chevaux ni de spadas, plus de toreros, ils cédaient la place au public à qui on permettait de descendre dans l’arène ; plus de deux cents personnes s’y sont précipitées, c’était quelque chose d’effrayant à voir, que ces gens pris par le taureau et lancées souvent à plusieurs reprises par lui à de grandes hauteurs ; je n’aurais jamais pu croire à une telle solidité dans les membres et à une tel enthousiasme chez les Espagnols.
Tels d’entre eux, qui avaient été lancés et piétinés par le taureau et que je croyais tués se relevaient après et retournaient à l’animal, 9 taureaux ont été lâchés ainsi au milieu de la foule.
Hier il y a eu grande course. La vie ici est effectivement très chère et il parait que c’est ainsi partout ; un objet qui coute dix francs sen France en vaut vingt ici.
Je suis heureux des bonnes nouvelles que vous me donnez de mon oncle et de ma tante, je compte leur écrire bientôt.
Je plains beaucoup le malheureux portilon auquel est arrivé l’accident ; je suis étonné seulement que cela puisse arriver à un paisible cavalier, lorsque les picadores sont roulés de tout côtés avec leurs chevaux sans jamais avoir de mal.
Pour ce qui est du traitement de Louis je dois vous prévenir qu’à bord en Amérique tous les traitement et soldes sont doublés.
Adieu, mon cher papa, je vous prie d’agréer l’expression de mes sentiments pleins de respects et d’affection
Albert
Description
Contexte de la lettre : En 1866 le prince héréditaire Albert entre dans la Marine royale espagnole ; il y sert durant deux années, à Cadix puis aux Caraïbes, avec le grade de sous-enseigne, d’enseigne puis de lieutenant de vaisseau.