Lettre du prince Albert à son père, le prince Charles III - Ier octobre 1870
Lettre du prince Albert à son père, le prince Charles III - 1er octobre 1870
Transcription
Londres le 1er octbre 1870
Mon cher Papa
Je suis encore dans l’ébahissement de ce qui m’est arrivé avant-hier, et qui est la plus étonnante aventure que j’ai jamais eue.
Figurez-vous que je me suis trouvé entre les mains de trois malfaiteurs Anglais, qui m’ont attiré de la façon la plus incroyable dans un endroit isolé où ils ont manqué me détrousser complétement, avant de faire usage de mon revolver, j’ai essayé, pour me tirer d’affaire un expédient qui m’a réussi, j’en ai été quitte pour soixante francs ; tout cela est une affaire des plus compliquées et qui serait fort longue à raconter, la voici en deux mots.
L’un de ces personnages qui était un parfait gentleman était soit disant chargé par un défunt parent, de distribuer ainsi qu’il le jugerait à propos, cent mille francs aux pauvres ; me jugeant étranger, peut être français, et lui inspirant confiance, il me demanda si je voulais me charger d’une partie de cette somme pour la distribuer à des blessés Français, me demandant pour toute garantie de mon honnêteté de lui prouver que j’avais avec moi une somme suffisante pour ne pas entamer celle qu’il me remettrait.
Je me prêtais sans défiance à cette proposition, enchanté naturellement d’être à même de faire du bien à de malheureux blessés, et nous nous réunîmes dans une petit fumoir de l’hôtel pour arranger cette affaire ; nous étions seuls dans le fumoir, quand deux autres messieurs arrivèrent et finirent par se mêler à la conversation d’une manière et sur un ton qui ne me laissèrent pas de doute sur la situation où je me trouvais, loin de tout témoin, même auriculaire, j’avais ma main dans ma poche, prête à sortir l’instrument indispensable en voyage, surtout par ici, lorsque l’idée me vint de feindre d’avoir oublié de l’argent encore, et, machinalement je laissais soixante francs sur la table, pour mieux les tromper, sur mes intentions ; je sortis donc, et fis appeler des garçons avec lesquels je revins au fumoir, d’où les trois messieurs, sans doute mis en éveil, s’étaient évadés par une fenêtre donnant sur une terrasse, il n’y a pas eu moyen de les rejoindre ; j’ai fait ma déposition à la police, mais moi parti , il n’y aura personne ici pour suivre l’affaire, à moins que vous ne connaissiez quelqu’un ici, qui pourrait s’en charger.
Je ne pourrai partir pour Bordeaux que le 8 ou le 10, il n’y a pas de bateau d’ici là, si vous voyez un autre moyen de m’en aller d’ici là pour la France, écrivez-moi, à Mr Grimaldi, Golden Cross hotel (Strand). J’ai vu hier l’Impératrice qui a été très aimable pour moi, elle m’a paru très changée, et avoir beaucoup souffert, elle est logée à Camden, Chislehurst, dans un petit château très gentil, et très commode ; j’ay ai vu Mr Clary et Mr Dupenné, deux ou trois autres personnes se trouvent également avec elle et le Prince Impérial ; leur vie est très isolée, car ils ne viennent jamais à Londres ; j’ai été étonné que l’Impératrice ne m’ait pas invité à diner.
Adieu, mon cher papa, je vous embrasse de tout cœur
Albert
P.S : je viens de retrouver à mon hôtel un officier de marine américain, que je connais d’autrefois, c’est une grande ressource pour moi.